Elle marchait sur un fil
Quel bonheur de retrouver la plume sensible de Philippe Delerm dans ce nouveau roman « Elle marchait sur un fil » paru au Seuil.
Elle, c’est Marie. Attachée de presse installée à Paris, la cinquantaine, mère d’Etienne, fraichement séparée de Pierre, son compagnon et père d’Etienne, elle a du mal à s’adapter à cette nouvelle solitude. Même la maison familiale de Bretagne, près du port du Fahouët, semble l’enfoncer davantage dans cet isolement forcé. Car cette maison mitoyenne, elle la partageait avec André, son voisin devenu ami avec les années et qui, cette année justement, l’âge aidant, vient de rentrer en maison de retraite. Le panneau « à vendre » apposé sur la maison ajoute à la tristesse de Marie. Heureusement, quand même, près d’elle, se trouve encore Agnès, son amie de toujours qui l’invite à lui donner un coup de mains dans le bazar restaurant qu’elle tient au Fahouët ; et puis Léa, sa petite-fille avec qui elle partage de doux moments d’affection.
Tout change pourtant lorsque Marie fait la connaissance des enfants de ses nouveaux voisins et de leurs amis. Car les cinq jeunes gens, à l’image d’Etienne quelques années auparavant, sont passionnés de théâtre et préparent les concours d’entrée dans des écoles d’art dramatique. Et ce qui a commencé au début comme une boutade, monter un spectacle « Le Fil » que Marie mettrait en scène, prend vite forme et tous les six n’ont que le temps d’un été pour lui donner vie !
Avec sa façon coutumière de donner un sens particulier aux instants, aux émotions, aux évènements de la vie, Philippe Delerm nous offre ici une bien jolie histoire. A la nostalgie, la mélancolie du début de roman, succèdent bien vite l’enthousiasme de la jeunesse, sa fougue et son élan. Sous les mots choisis de l’auteur, ce projet un peu fou de pièce de théâtre perd de sa folie. On a envie d’y croire et, comme Marie, on s’y attache, on s’en imprègne et on ne ménage pas sa peine pour le rendre pleinement vivant. En dépit de la jalousie, réelle ou supposée, d’Etienne, lui-même ancien comédien à présent ancré dans sa profession d’architecte d’intérieur. En dépit des avertissements inquiets de Pierre, des parents des jeunes apprentis comédiens, et même d’Agnès ! Mais avec les encouragements manifestes d’André et de Léa. Alors ? Qu’est-ce qui fait qu’« Elle marchait sur un fil » ? Est-ce le fil, nom donné à cette fameuse pièce de théâtre ? Ou est-ce tout simplement le fil de la vie ? Celui sur lequel nous marchons tous, avec conscience ou inconscience. Celui que l’on suit, bon gré mal gré, qu’on croit tirer ou tendre devant nous.
Ce « Fil » que les jeunes comédiens s’attachent à mettre en lumière par leur talent en lui laissant juste la part d’ombre nécessaire pour qu’il ne nous éblouisse pas trop, Marie saura-t-elle en trouver le sens réel et l’accepter ? Ou, au contraire, le suivra-t-elle, tel un funambule, à ses propres risques et périls dans ce projet ambitieux certes, mais empreint d’une folie douce ?
La fin, surprenante, c’est Philippe Delerm qui nous la livre, avec ses mots à lui, uniques, pétris d’émotions et d’une valeur à nulle autre égale !