Elle voulait juste marcher tout droit

Publié le par Martine

Elle voulait juste marcher tout droit

Ma première réaction quand j'ai reçu ce premier roman à lire pour la sélection de janvier 2017 des 68 premières fois a été de me dire "Encore un roman sur la guerre!". Pourtant, habituellement, j'aime ces romans qui m'apprennent tellement sur ces années terribles et dramatiques. Mais peut-être ai-je l'impression d'en avoir trop lu récemment? Je ne sais pas. Toujours est-il que les 423 pages de ce premier roman de Sarah Barukh, paru chez Albin Michel , m'ont un peu rebutée au premier abord. Et puis, consciencieuse et engagée, je suis, consciencieuse et engagée, je reste. Et comme j'ai bien fait! 

Car ce roman nous parle non seulement de ces années troubles où tout était faussé, où la méfiance était de mise, mais aussi d'une rencontre bouleversante entre une fille et sa mère, d'une construction, d'une personnalité en devenir, d'un parcours nécessaire, d'un voyage vers soi. Et ça, vraiment, ça m'a passionnée, à tel point que je peine à trouver les mots exacts pour exprimer toutes les émotions ressenties à cette lecture. Ce roman, pour moi, va bien au-delà du coup de coeur vécu tant et tant de fois à travers mes lectures. Ce roman touche une part d'intime, un endroit où on ne va jamais, ou dont on s'approche très rarement parce qu'y aller réveillerait des choses qu'on préfère tenir cachées, protégées, bien à l'abri de notre moi profond. 

En ce mois de mai 1943, la guerre fait rage en France comme en de nombreux pays du monde. La folie meurtrière enclenchée par Hitler est à son maximum. Mais ça, Alice ne le sait, elle qui, du haut de ses 5 ans, vit dans ce petit village des Pyrénées avec sa nourrice, Jeanne. Oh bien sûr! Son enfance est loin d'être idyllique. Il y a d'abord toutes ces choses qu'elle voudrait faire et qui sont interdites "parce que c'est la guerre". Quelques mois plus tard, il y a ses camarades d'école qui la regardent de travers et ne l'acceptent pas dans leur groupe, parce qu'elle n'est pas d'ici. Il y a aussi, et surtout, l'absence de sa mère, disparue sans qu'elle comprenne vraiment comment et pourquoi. Ce qui lui a valu de venir vivre à Salies-de-Béarn.

Alice grandit dans cette atmosphère, trouble et oppressante. La guerre est terminée à présent. Et la voici, partie à Paris avec sa petite valise, à la rencontre de sa mère, Diane, qui rentre, elle aussi, d'un long et terriblement douloureux voyage. Mais là, rien ne se passe. Alice est confinée dans son enfance. Sa mère, traumatisée par tout ce qu'elle a vécu durant sa déportation, garde le silence. Pire même, complètement repliée sur elle-même, elle semble être indifférente à tout, et en particulier à sa fille. Ses quelques moments de joie, l'enfant les vit au côté de Jean, son voisin de palier.

Aussi, lorsque Diane tombe malade et qu'elle est contrainte de se séparer à nouveau de la fillette et de la confier à son père qui vit à New-York, la fillette ne comprend plus. Comment se fait-il qu'elle ait un père alors qu'on lui a toujours dit qu'elle n'en avait pas? Et surtout pourquoi habite-t-il si loin? Pourquoi a-t-il mis un océan entre sa mère et lui, entre lui et elle?

Je n'en dirai pas plus sur ce récit absolument bouleversant. J'ajouterai simplement que dès qu'on en commence la lecture, ce roman nous prend et ne nous lâche plus, porté qu'il est par cette écriture et ces mots qui nous touchent et nous percutent. On ne peut qu'être émue par l'innocence d'Alice, par ses questions sans réponses, par ce silence, sidéral, dans lequel elle est maintenue et qui, bien sûr, ne fait qu'attiser sa curiosité. Pourquoi sa mère ne lui parle-t-elle pas? Pourquoi M. Marcel, chez qui sa mère a trouvé un travail dans son atelier de confection, l'emmène-t-il tous les jours au Lutécia déchiffrer des listes de noms longues à n'en plus finir? Pourquoi lui a-t-on menti sur l'existence de son père? Et pourquoi? pourquoi? pourquoi?... 

Autant de pourquoi, autant de réponses nécessaires dont la fillette a besoin pour se construire, forger sa personnalité, devenir femme. Et dans ce contexte d'immédiat après-guerre, et dans de telles circonstances, il en faut du courage pour y parvenir...

 

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