Trois gouttes de sang grenat

Publié le par Martine

Trois gouttes de sang grenat

Quelle idée saugrenue a bien pu pousser Auguste Laborde à entrer dans cette vente aux enchères et à acheter cet immeuble, assez sordide de prime abord et situé dans un quartier bien loin du chic bourgeois dans lequel il évolue habituellement? Auguste lui-même ne le sait pas. Toujours est-il cependant que le voici doté d'un bien immobilier supplémentaire, bien à lui, où il va pouvoir se retirer quand la tension familiale sera trop forte et laisser libre court à sa création. Car, comme son père décédé, Auguste est orfèvre, spécialiste du grenat, à Perpignan en cette fin de 19e siècle. Mais s'il excelle dans son art et y puise certain réconfort, il n'en va pas de même au sein de sa famille. Marié contre son gré par sa mère, autoritaire, à la charmante Suzanne, il n'a toujours pas consommé son union, trois ans après. Ce qui a le don de contrarier sa mère au plus haut point, pressée qu'elle est de le voir procréer, et qui interroge tristement sa jeune épouse, forcée d'accepter cette indifférence manifeste à son égard.

Mais voilà donc qu'Auguste devient propriétaire de cet immeuble, qu'il le fait remettre en état et qu'il s'y réfugie. De plus en plus et de plus en plus souvent. Au grand dam de sa mère. Et pourtant! Si elle savait... Car, outre le fait de pouvoir y créer à son aise, Auguste a trouvé un attrait supplémentaire à son immeuble dans le fait qu'il jouxte une maison close et notamment la pièce où les prostituées reçoivent leurs riches clients. N'osant pas pousser lui-même la porte de cet établissement voisin, Auguste se contente de regarder par la fissure découverte par hasard dans le mur mitoyen. Et il assiste alors à des scènes des plus émoustillantes, surprenantes et même affolantes, surtout le jour où il voit les mains d'un client enserrer le cou de celle qu'il a surnommée "Neu" (neige) en l'honneur de la carnation laiteuse de sa peau. Dès lors Auguste ne va avoir de cesse que de trouver l'assassin de la belle prostituée, la police ne jugeant pas utile de s'en préoccuper. Et cela, à ses risques et périls bien sûr...

Ce roman d'Hélène Legrais, paru dans la collection France de toujours et d'aujourd'hui chez Calmann-Lévy, m'a interpellé à plus d'un titre. Par la découverte de ce métier d'orfèvre d'abord, du travail du grenat, réputé à Perpignan. Par l'approche de cet univers très fermé et réglementé de la franc-maçonnerie. Par l'étude de cette période historique : la fin du 19e, l'Exposition universelle de 1889 et ses retombées sur l'industrie en province. Et puis par l'étude psychologique, très fine, à laquelle l'auteur nous confronte.

Car il faut bien le dire. Auguste est d'une niaiserie affolante. Son "éducation", il va la faire réellement en se mettant en position de voyeur. Ce qui a pour effet de lui permettre d'honorer enfin sa jeune épouse, jusqu'à lui faire porter leur premier enfant. Ce qui a aussi pour conséquence de le faire agir en toute discrétion, pour ne pas dévoiler son secret intime. 

Certes il a pour lui sa rencontre avec Valentine, mendiante vagabonde qui l'informe sur bien des aspects concernant la situation géographique de son nouveau bien immobilier. Il a pour lui également de connaître suffisamment de personnes dans son milieu mondain habituel. Ce qui l'aide dans sa recherche du coupable, identifiable à ses mains qui présentent la particularité d'avoir un index de la taille du majeur. Mais tout ceci ne pèse pas lourd face à son ingénuité, son ignorance du milieu très fermé auquel il s'affronte sans le savoir. 

J'ai aimé ce roman pour son côté thriller psychologique, le chemin emprunté par l'auteur pour nous amener lentement mais sûrement jusqu'au meurtre et à sa résolution. Un genre littéraire auquel Hélène Legrais ne nous a pas habitués et dans lequel elle se révèle particulièrement douée, et même excellente. J'ai aimé ce roman aussi pour ses descriptions de Perpignan, de sa bourgeoisie, de son industrie. Un sujet que l'auteur maîtrise particulièrement également. Et puis, il faut le dire aussi, il y a toutes ces scènes, crues, auxquelles Auguste assiste. Des scènes décrites avec délicatesse et sensualité, pour plus d'authenticité. Des scènes qui ne sont pas sans nous rappeler "Les deux vies d'Anna", autre roman signé Hélène Legrais. Des scènes qui sont la vie, malgré tout. Et qui pimentent notre lecture.

Une écriture sensible, un sujet fort, un suspense parfaitement construit et maîtrisé, c'est ce que nous fait partager Hélène Legrais avec ces "Trois gouttes de sang grenat" et je l'en remercie.

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P
Je ne connais pas, mais il pourrait me plaire d'après ce que tu en dis.<br /> Déjà le titre me plait...
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M
C'est déjà un bon point! ;-)<br /> Merci Philippe! Bonne journée!